Investir dans le congé paternité pour atteindre l’égalité hommes-femmes

Père et bébé devant un lac de montagne
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L’allongement du congé paternité en France a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines. Le 23 septembre 2020, le gouvernement a en effet annoncé que le congé paternité doublerait à partir de juillet 2021 en passant de 14 à 28 jours. Un pas en avant ? Certainement. Cependant, le « pour quoi ? » mérite d’être reposé.

Les arguments en faveur de la mesure se réfèrent à l’égalité hommes-femmes. Attention au malentendu sur ce sujet de société. A mon sens, le fond du débat n’est pas dans le confort personnel des pères, des couples et des familles. L’existence et la durée du congé paternité sous-tendent en profondeur les rôles masculins et féminins que nous partageons et développons en société. C’est en cela qu’interroger l’organisation du congé paternité est clé pour favoriser l’égalité hommes-femmes. C’est ce à quoi je m’intéresse dans cet article.

La loi impose à tous que la mère s’occupe du bébé

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Dans une société qui veut promouvoir l’égalité hommes-femmes, n’est-il pas curieux que la loi impose aux parents un rôle genré ? Avec un congé paternité sensiblement plus court que le congé maternité, on s’impose malgré nous-mêmes l’indicible : les premiers mois, c’est à l’homme de travailler et à la femme de s’occuper du bébé.

Bien sûr, la mère a aussi besoin de temps pour se remettre physiquement de l’accouchement. En 1909, la loi Engerand qui instaure le congé maternité est une avancée majeure. L’existence d’un congé maternité tient compte de cette nécessité-là. Elle permet aussi au bébé de rester avec au moins l’un de ses parents durant ses premières semaines de vie. Elle tient compte enfin du manque à gagner que serait le non-travail d’un parent si cette absence n’était pas rémunérée. C’est fondateur.

Ne peut-on pas en 2020 aller plus loin ? Il s’agit maintenant de rendre aux parents la décision de comment ils souhaitent organiser l’arrivée de leur enfant.

A l’échelle individuelle, le couple n’a que peu de marge de manœuvre

Aujourd’hui en France, le père peut prendre :

  • le congé de naissance : 3 jours ouvrables, à une date proche de la naissance
  • le congé paternité : 11 jours calendaires consécutifs, dans les 4 mois suivant la naissance de l’enfant. C’est ce congé qui sera porté à 25 jours à partir de juillet 2021.

De son côté, la mère bénéficie d’un congé maternité de 16 semaines. Par défaut, 6 sont positionnées avant et 10 après la date estimée du terme de la grossesse. La femme enceinte peut, sur avis médical, reporter jusqu’à 3 semaines du congé pré-natal en période post-natale.

Comment s’organisent les parents dans ce contexte ?

Nous prendrons pour exemple le cas où le père prend les 14 jours d’affilée à la naissance de l’enfant. D’abord, parce que c’est un cas courant. Ensuite, parce que c’est le cas le plus favorable à la mise en place d’une égalité des rôles. En effet, les deux parents sont en congé à l’arrivée de l’enfant.

Déroulé-type du congé paternité / maternité

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Généralement, les 3 à 5 premiers jours se passent dans la structure choisie pour la naissance. Dans le meilleur des cas, le père est autorisé à y passer la nuit. Trop souvent, ce n’est pas le cas. D’emblée, la mère passe plus d’heures que le père avec le bébé et elle apprend plus à le connaître.

De retour à la maison, il reste 9 à 11 jours aux parents avant la reprise d’activité du père. A ce stade, la mère a encore très probablement des difficultés à se lever et se déplacer. Il est même recommandé qu’elle reste allongée autant que possible au moins la première semaine post-accouchement. C’est donc naturellement plutôt elle qui va s’occuper de l’enfant. Le père pourra plus facilement prendre en charge la logistique du reste du foyer. Encore une fois, il passe moins de temps avec son nouveau-né que la mère.

Au bout de quelques jours, la reprise d’activité du père est imminente et la mère est de plus en plus active. L’urgence est qu’elle puisse s’occuper de tout en l’absence du père. La priorité des parents se tourne vers cela. Les temps père-enfant restent au second plan.

Une fois le congé paternité terminé, il reste entre 8 et 11 semaines de congé maternité. Pendant cette période, la mère s’occupe du bébé toute la journée sans le père. Dans le cas d’un allaitement au sein, c’est aussi surtout à la mère de gérer les nuits. Père et enfant n’interagissent que marginalement en comparaison de la mère et l’enfant.

In fine, le temps consacré à leur enfant par chacun des parents ne se rééquilibrera ainsi que 3 mois environ après la naissance de l’enfant, à la reprise d’activité de la mère.

Une situation subie liée à l’écart de durée des congés et à la brièveté du congé paternité

A l’échelle individuelle, les couples sont mécaniquement poussés dans un schéma par défaut qui facilite l’établissement du lien mère-enfant au détriment du lien père-enfant. Ici, les valeurs des parents ont moins d’impact que l’état de fait et les arbitrages pragmatiques du quotidien. Cet effet est d’autant plus fort que la différence de durée des congés est importante et que le congé paternité est court.

L’inéquité des rôles instaurée pendant le congé paternité / maternité perdure au-delà

Que se passe-t-il à la reprise d’activité de la mère ?

Rappelons le contexte : elle vient de passer près de 4 mois entièrement consacrée à son nouvel enfant. Sur les 2 à 3 derniers mois, elle s’est occupée seule de son bébé entre 10 et 18 heures par jour.

La force des habitudes

D’une part, la force des habitudes va tendre à faire perdurer au moins partiellement la situation installée. Par exemple : le père s’est habitué à ne pas se réveiller la nuit et la mère réagira en premier. Ou encore : la mère a probablement été l’interlocutrice principale des professionnels de la petite enfance rencontrés à cette période (médecin, professionnel(s) de garde, etc.). Il sera plus facile qu’elle poursuive l’interlocution plutôt que le père ne la mette en place ou ne la développe.

L’effet de montée en compétence

D’autre part, la mère a plus d’informations et plus de savoir-faire avec le bébé. Pour s’occuper d’un bébé comme pour toute activité, l’expérience permet une montée en compétence puis une spécialisation. Le volume horaire que la mère a consacré au bébé lui confère une connaissance fine des signaux qu’il envoie et une maîtrise des gestes de soins quotidiens. Le père qui n’a pas pu consacrer ce volume horaire à son enfant n’a pas autant d’expérience. A confiance en soi égale, la mère se sentira plus à l’aise que le père dans de nombreuses situations. Elle sera un peu plus à l’aise dans les situations fréquentes et beaucoup plus à l’aise dans les situations rares.

Une longueur d’avance à résorber volontairement

Galets en équilibre
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C’est là qu’est la plus grande injustice dans cet écart imposé aux pères et aux mères. Il donne à la mère une longueur d’avance qui demeure une fois la situation en apparence rééquilibrée. Une fois que les deux parents sont de nouveau en activité, la mère a acquis un confort que le père n’a pas à s’occuper de son bébé en toute situation. Dans chaque situation nouvelle et/ou difficile, la mère sera spontanément plus à l’aise que le père.

Il faudra plusieurs semaines / mois pour rééquilibrer de fait les rôles dans le couple. Le déséquilibre entre les volumes horaires consacrés à l’enfant au début de sa vie doit en effet devenir peu ou non représentatif dans les relations père-enfant et mère-enfant.

A fortiori, cela ne se produira que si le couple y consacre un effort conscient. En effet, si à chaque situation nouvelle ou difficile, la mère prend les choses en main, elle restera le parent plus compétent. Peu importe que les parents aient voulu cette situation ou non à l’origine : arrivés à ce stade, s’ils ne font rien, la situation perdurera.

Concrètement, le couple de parents doit faire l’effort de prendre du recul alors que chacun est fatigué et manque de temps. Il faut d’abord identifier les écarts qui se sont mis en place dans leurs rôles de parents puis déterminer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Ensuite, il faut investir le temps et l’énergie nécessaire à ce que le père devienne aussi à l’aise que la mère sur les activités déterminées.

Un modèle que l’on transmet à la nouvelle génération

Si le couple parental ne fait pas cet effort, c’est un modèle d’inégalité homme-femme qu’il incarne au quotidien devant ses enfants. La nouvelle génération apprend que Papa travaille et Maman s’occupe des enfants.

A mon sens, c’est l’effet le plus néfaste de cette situation. Ce modèle n’est pas un problème en lui-même. Le problème est que ce soit l’unique modèle vers lequel la société pousse tous les foyers. La nouvelle génération se construit sur ce modèle unique et on lui transmet précisément ce que l’on veut combattre.

L’inégalité du congé paternité vs. maternité empêche l’égalité hommes-femmes au travail

C’est la loi elle-même qui fixe qu’hommes et femmes ne sont pas égaux dans leurs absences professionnelles au motif d’une naissance. Comment pourrait-on espérer des employeurs qu’ils prennent des décisions managériales sans tenir compte de cette différence évidente ?

Face au devenir parent, aujourd’hui en France, il serait illusoire de croire que l’égalité est atteinte. Oui, les hommes s’absentent en général 2 semaines et les femmes 16 lors d’une naissance. Une absence de 2 semaines et une absence de près de 4 mois ne se gèrent pas de la même manière. Evidemment, avoir dans ses équipes une femme de 25 à 35 ans plutôt qu’homme du même âge comporte un risque d’absence supplémentaire.

L’employabilité des femmes de cette tranche d’âge ne peut être que moindre que celle des hommes. Cela n’est pas lié à la compétence des hommes et des femmes de 25 à 35 ans. Cela n’est pas non plus lié à une question de caractère ou de personnalité « générale » de ces profils-type. La loi fixe par défaut que les femmes s’absenteront 8 fois plus longtemps en cas de naissance.

En France, le taux de natalité est de 1,8 enfant par femme. Sur le marché du travail français, une femme ayant passé l’âge d’avoir des enfants a donc statistiquement été absente 6,65 mois* pour la naissance de ses enfants. Un homme du même âge s’est absenté moins d’un mois. L’ordre de grandeur n’est pas le même. L’homme a pris un peu plus de vacances. La femme a perdu plus d’une demi-année d’expérience. In fine, cette demi-année deviendra non-significative dans sa carrière. Toutefois, à âge égal en milieu de carrière, une candidate à un poste est statistiquement moins expérimentée que son homologue masculin. L’employabilité des femmes est donc durablement grevée par les congés de naissance tels qu’ils sont prévus aujourd’hui.

*6,65 mois = 1,8 enfant par femme x 16 semaines de congé maternité / 4,33 semaines par mois

Une bonne décision repose sur la prise en compte des éléments discriminants de la situation. Il est souhaitable que les décideurs de notre tissu économique sachent prendre et prennent des décisions de cette manière. Mettre en place des mesures anti-discriminatoires est vain, la véritable solution réside dans le fait d’effacer le discriminant indésirable.

Comment faire du congé paternité / maternité un facteur d’égalité hommes-femmes ?

Comment pourrions-nous faire mieux ?

A l’échelle individuelle, nous avons vu que la marge de manœuvre est faible. Etre conscient des effets de bord possibles est probablement le meilleur garde-fou contre les excès. Charge à chacun d’exploiter les subtilités du système et de prendre les meilleures décisions possibles en fonction de sa situation personnelle.

Collectivement donc, comment pourrions-nous faire mieux ? Comment pourrions-nous éviter de générer une inégalité hommes-femmes alors que nous voulons justement l’éradiquer ?

Atteindre l’égalité de durée des congé paternité et congé maternité

Atteindre l’égalité de durée entre les congés paternité et maternité est l’objectif incontournable.

Comme nous l’avons vu plus haut, fixer collectivement que le père reprend son activité avant la mère revient à imposer l’inacceptable.

  • Aux femmes, on impose un handicap d’employabilité durable.
  • Aux couples, on impose une répartition genrée des rôles domestiques. Or, cette décision devrait relever de la sphère privée dans un contexte social neutre.
  • Aux enfants, on impose une représentation unique de ce qu’est être un homme / une femme dans la société dans laquelle ils vont devoir se positionner en grandissant. On leur impose de plus ce modèle unique dans un contexte de dissonance entre discours et réalité.

A ce titre, allonger le congé paternité est évidemment à envisager. Un congé paternité de 28 jours plutôt que de 14 va dans la bonne direction.

Réduire le congé maternité, à condition que la femme soit effectivement en état de reprendre son activité, est une autre option. La mesure apparaît immédiatement très impopulaire dans une société qui chérit ses acquis sociaux. Toutefois, il est méthodologiquement rigoureux de ne pas l’écarter d’office et d’étudier l’option, ne serait-ce que pour factualiser sa non-pertinence.

Garantir l’égalité des congés aussi dans leurs modalités détaillées

Le diable est dans les détails : modalités d’indemnisation, durée minimum obligatoire, flexibilité des dates… Les modalités des congés ont toute leur importance. Quelle égalité y’aurait-il si l’un des deux parents était indemnisé à 100% et l’autre pas ? Quelle égalité encore si la durée minimum obligatoire était de 8 semaines pour la mère (c’est le cas) et de 2 semaines (par exemple) pour le père ?

C’est sur l’ensemble des conditions encadrant les congés de naissance des deux parents que l’égalité est nécessaire. C’est la garantie pour que pères et mères aient la même liberté de prendre des congés à la naissance de leur enfant.

Pensons-y un instant

Aujourd’hui en France, la durée minimale du congé maternité est de 8 semaines. En cas d’interruption d’activité inférieure à cette durée, la mère n’est pas indemnisée.

8 semaines est un délai minimal qui semble généralement raisonnable pour se remettre d’un accouchement. Toutefois, les mères qui n’auraient pas le choix que de reprendre leur activité plus rapidement (ex : cheffes d’entreprise, indépendantes…) sont lourdement sanctionnées quand elles le font. Et ce alors même qu’elles contribuent activement au dynamisme économique.

A contrario, le congé paternité ne prévoit aucun minimum, laissant les pères véritablement libres de travailler lorsque c’est nécessaire pour eux.

Peut-on vraiment souhaiter prévoir de telles sanctions spécifiques à l’encontre des mères ?

Mettre en place un congé parental à organiser par les parents

Si l’on s’affranchit de l’existant, pourquoi la loi devrait-elle statuer sur la durée des congés paternité et maternité respectivement ? Le couple de parents n’est-il pas apte à décider pour lui-même de la meilleure organisation dans son cas personnel ? Un congé parental à répartir librement entre les deux parents est la solution la plus directe pour rendre aux parents la décision qui devrait être la leur sur l’organisation de l’arrivée de leur enfant.

Ce congé parental existe dans de nombreux pays, avec ou sans durée minimum pour chaque parent. Un tel congé a également été recommandé par le rapport « Les 1000 premiers jours ». C’est le rapport à l’origine de l’allongement du congé paternité décidé en septembre (cf. Propositions concernant les congés de naissance aux pages 102-103).

Quel que soit le cadre d’application, les principes structurants du congé parental sont les suivants :

  • Partageabilité. Le temps est à répartir entre les deux parents, à leur discrétion, avec parfois une incitation à une répartition égale.
  • Indemnisation. Pas toujours à 100% pour des raisons économiques évidentes, ce temps est toutefois significativement indemnisé. Il s’agit de permettre aux familles de traverser la période d’inactivité professionnelle sans impact financier majeur.
  • Durée. Il s’agit d’un temps relativement long : généralement plus long que la durée des congés maternité / paternité du contexte, souvent plusieurs mois. L’objectif est de permettre une meilleure réponse au besoin de proximité avec leurs parents des très jeunes enfants, le plus souvent sur la première année.

Congé paternité / maternité / parental : comment les réviser ?

Imaginons que l’on décrète demain que le congé paternité dure désormais 16 semaines en vertu de l’égalité hommes-femmes… Je doute que les pères prendraient effectivement leur nouveau congé en entier. Pourquoi ?

A l’annonce de l’allongement du congé paternité, de l’encre a coulé sur le fait que les pères ne prenaient « déjà » pas toujours leur congé paternité de 14 jours. Les auteurs cherchaient à questionner la pertinence de la mesure. Or, lorsque l’on creuse les faits/chiffres avancés, on trouve des échantillons non-représentatifs et des contre-exemples. Ce n’est donc pas mon propos.

Un frein culturel

En tant que père, comment annoncer à son employeur qui n’en n’a pas l’habitude que « je ne vais pas prendre les 14 jours historiques mais 16 semaines » ? Les railleries et les suggestions (plus ou moins) amicales seraient malheureusement probablement les réactions spontanées de nombreux collègues et responsables hiérarchiques.

Carton rouge !

Quelques jours après l’annonce de l’allongement du congé paternité, on trouve ce type de dessins humoristiques en ligne. L’organisation syndicale d’entreprise qui le publie annonce pourtant saluer la mesure.

En filigrane, on entend la question et le commentaire implicite : « Que vont faire les pères pendant 28 jours ? C’est un peu des vacances pour eux, n’est-ce pas ?« . Le dessin fait rire car nous avons l’a priori inavouable que cet allongement du congé paternité est non-nécessaire… superflu ?

Source : CFDT Crédit Agricole Sud Méditerranée

Ainsi, il serait fantaisiste d’espérer que simplement décréter ce type de mesures aboutisse à leur application immédiate. Il faut gérer l’existence d’un statu quo social et la transition vers la situation visée.

L’inégalité financière au sein des couples

Source : France Stratégie, nov. 2018

Si la situation s’améliore peu à peu en France, l’inégalité de revenus entre les membres du couple reste une réalité dont il faut tenir compte. Le tableau ci-contre illustre la mixité des couples français en termes de revenus d’activité en 1996 et en 2015.

On repère visuellement la diagonale plus claire qui correspond aux cas où le couple est globalement homogène. Les deux membres du couple ont des niveaux de revenus compris dans le même quintile dans ~27% des cas en 2015.

La moitié en haut à droite (bleutée) représente les couples où la femme a des revenus significativement supérieurs à ceux de l’homme (~18% des couples en 2015). Inversement, en 2015, la femme a des revenus significativement inférieurs à ceux de l’homme dans ~54% des couples.

Dans un couple sur deux, la femme gagne significativement moins d’argent que l’homme. Une fois sur deux, le manque à gagner potentiel est plus important pour le couple si c’est aux revenus de l’homme qu’il faut partiellement renoncer. Ce n’est le cas qu’une fois sur cinq dans la configuration inverse.

Ce que j’évoque ici n’est pas un cas théorique : aujourd’hui, le congé parental n’est pas indemnisé en France. Les deux parents salariés peuvent le demander à partir d’un an d’ancienneté dans l’entreprise. Toutefois, le couple a financièrement intérêt à ce que ce soit le parent générant le moins de revenus d’activité qui le prenne. Une fois sur deux, le couple sera incité à ce que le parent concerné soit la mère. La réciproque n’est vraie qu’une fois sur cinq.

Pensons-y un instant

Statistiquement, les personnes générant le moins de revenus d’activité sont celles dont le niveau d’éducation est le moins poussé. On peut s’interroger sur la pertinence d’un système qui organise le fait de confier l’éducation de la nouvelle génération à la personne la moins formée disponible.

En pratique, ce que l’on imagine se confirme. Pour 100 naissances en 2016, l’OCDE recense en France 2,4 pères bénéficiant d’un congé parental. Dans les faits en France, lorsqu’un congé parental est pris, c’est dans plus de 95% des cas la mère qui le prend.

Source : OCDE – Base de données sur la famille – Table PF2.2 Utilisation des prestations pour congé

Une politique d’accompagnement des naissances ne peut ignorer ni l’inégalité financière au sein des couples en France ni les biais décisionnels qu’elle génère à l’échelle individuelle.

Mettre en place les incitations nécessaires et suffisantes

Contre des freins culturels et financiers, quels types d’incitations peuvent être mis en place pour favoriser l’application effective de nouvelles mesures ?

Cela dépend tout d’abord des mesures : il faut s’assurer de compenser les freins auprès des acteurs de la décision individuelle. Si la mesure porte sur le congé paternité, c’est probablement les pères et s’il s’agit du congé parental, ce sont les deux membres du couple qu’il faut toucher. Dans les deux cas, il pourrait être efficace d’impliquer les employeurs pour les inciter à accueillir positivement les nouvelles annonces de leurs employés.

Ensuite il faut identifier les types d’incitation que l’on peut mettre en place. L’incitation financière sous forme de primes par exemple est évidente. Elle peut toutefois être coûteuse car il s’agit de flux financiers nouveaux qui s’ajoutent immédiatement au budget en déficit de l’Etat. D’autres incitations, générant moins de besoin de trésorerie et à plus long terme peuvent être envisagées : jours de congé supplémentaires, avantage fiscal, etc.

Certaines incitations devront garantir le maintien durable dans un équilibre souhaitable. D’autres pourront être temporaires car elles serviront à déclencher le changement. Certaines mesures pourront n’être valables que pendant quelques mois ou années. On peut aussi imaginer des incitations qui sont mécaniquement plus fortes quand il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Des mesures proportionnelles à l’écart de revenu entre les deux parents ou au nombre de jours de congé pris relèvent de ce levier.

Ainsi, nous pourrions imaginer :

  • un déblocage de quelques jours de congé supplémentaire si père et mère prennent une durée égale ou similaire de congé à la naissance de leur enfant
  • une prime temporaire à l’employeur à chaque congé paternité de 16 semaines pris par l’un de ses employés (dans le cas où le congé paternité porté à la même durée que le congé maternité serait de 16 semaines)
  • une réduction d’impôts proportionnelle aux effectifs de l’employeur si plus de 85% des congés paternité pris par les pères atteignent ou dépassent les 12 semaines sur 16
  • un doublement de cette réduction d’impôts si 95% ou plus des congés paternité pris atteignent les 16 semaines
  • une indemnisation à 100% de son congé sans plafond de revenu si le parent générant le plus de revenus d’activité prend un congé paternité/maternité plus long que la durée minimale de son congé (14 jours et 8 semaines respectivement aujourd’hui)
  • etc.

Cela en vaut-il la peine ?

Le jeu en vaut-il la chandelle ? L’ensemble de ces mesures, aussi optimisées seraient-elles, ne peut que représenter des coûts importants pour la société. Souhaite-t-on vraiment engager ces dépenses ? D’autres postes nécessitent des budgets. Ne serait-il pas plus souhaitable de contribuer à d’autres causes ?

Ces mesures ne sont pas un coût mais un investissement

Si l’on s’arrête à l’enveloppe budgétaire que de telles mesures représenteraient, la question est mal posée. Il ne s’agit pas ici de satisfaire les desideratas d’une tranche particulière de la population (les jeunes parents). Il s’agit de poser les bases pour un développement économique et social sain et performant.

Si demain, on fluidifie sur le marché de l’emploi la gestion de la phase de vie où hommes et femmes deviennent parents, le retour sur investissement à long terme est certain. La quasi-totalité de la population active passe par cette étape. Tous les jeunes parents sont directement touchés. Et tous les adultes étant passés par cette phase de vie savent l’importance que ces mesures ont à ces moments-clé.

Si d’ici 25 ans, la nouvelle génération qui entre dans la population active n’a jamais été directement concernée par les stéréotypes archaïques « Papa travaille et Maman s’occupe des enfants », ne récolterons-nous pas 100 fois ce que nous aurons semé ?

En milieu de carrière, être un homme ou une femme sera sans impact. L’inégalité de revenus dans les couples que nous évoquions plus haut sera peut-être déjà du passé depuis longtemps. Combien de politiques, de chartes et de formations d’entreprises nous serons-nous épargné ? Combien de manifestations et de débats de société autour de l’égalité des genres aurons-nous pu consacrer à de nouveaux sujets devenus plus pressants pour améliorer notre quotidien ?

Avec une avancée majeure sur le moment de la vie où être homme ou femme est peut-être le plus clivant, quels impacts sur des thèmes connexes ? Peut-on espérer une amélioration de la situation quant au harcèlement sexuel en entreprise ? aux violences conjugales ? à la parité dans les métiers les plus genrés ?

A l’échelle de la société, le retour sur investissement est infini

Au regard de la variété des domaines de la vie qui seraient touchés par l’instauration de l’égalité des genres en matière de congés de naissance, le retour sur investissement (ROI) est infini sur la durée. La question n’est pas « y’aura-t-il un ROI ? » mais « quand atteindrons-nous un ROI ? ».

C’est là le plus grand défi de la mise en place de telles mesures : comment faire en sorte que leurs initiateurs aient assez à y gagner avant la prochaine élection pour décider de le faire ?

Reste que la pertinence de les mettre en place ne laisse plus de doute.

Pour plus de contenus sur la grossesse et la parentalité, rendez-vous sur mon site dédié : devenirparent.fr !

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