Compter l’âge gestationnel en semaines de grossesse dès que possible

L’âge gestationnel, c’est l’âge de la grossesse. C’est ce qui permet de dire qu’on en est au 2ème trimestre, au 7ème mois ou à la 12ème semaine. Dans la vie courante, on parle des mois et des trimestres de grossesse. Mais pour le suivi de la grossesse, on exprime l’âge gestationnel en semaines.

Bien que cela semble sans ambiguïté de prime abord, celles et ceux qui sont déjà passés par là savent que compter ces semaines est un casse-tête. C’est parce que l’on doit distinguer semaines de grossesse et semaines d’aménorrhée.

Semaines de grossesse et d’aménorrhée, késaco ?

Les semaines de grossesse (SG) se décomptent à partir de la date de début de grossesse ou de conception. De la conception à l’accouchement, la grossesse dure typiquement 39 semaines. Ce nombre ne fait pas l’unanimité puisque différents pays ne prennent pas la même durée de référence pour la grossesse. En France, on considère qu’une grossesse dure environ 39 semaines, soit exactement 9 mois.

Les semaines d’aménorrhée (SA) se décomptent à partir du premier jour des dernières règles. L’aménorrhée désigne la période pendant laquelle il y a absence de règles. Parce qu’on considère le cycle menstruel type d’une femme de 28 jours, on considère que l’ovulation et la fécondation ont lieu le 14ème jour du cycle. Ainsi il y a un décalage de 14 jours entre SG et SA, et SA = SG+2. La grossesse dure donc 39 SG + 2 = 41 SA.

Compter l’âge gestationnel en semaines d’aménorrhée

Au début de la grossesse, seules les semaines d’aménorrhée sont connues

Lorsque les futurs parents détectent la grossesse, ils ne connaissent généralement pas la date de conception. Seule la date du premier jour des dernières règles clairement identifiée. Initialement donc, il est raisonnable de généralement exprimer l’âge gestationnel en semaines d’aménorrhée.

L’échographie de datation permet de déterminer la date de conception

Au 3ème mois (entre 11 SA et 13 SA + 6 jours), une échographie dite « de datation » est systématiquement proposée. Cette échographie permet notamment de dater, en fonction des mensurations de l’embryon, le début de la grossesse. En effet, les dimensions et la croissance des embryons sont très peu variables en début de grossesse. Ainsi, mesurer l’embryon à ce stade permet d’évaluer l’âge gestationnel à+/- 5 jours.

A la sortie de cette échographie, la future mère / les futurs parents connaissent donc la date probable de conception. Cette date de conception est inscrite dans le compte-rendu d’échographie. Elle demeure ensuite dans le dossier de suivi de la grossesse. Tout personnel médical intervenant dans le suivi en a donc connaissance.

Pourtant, on continue d’utiliser ensuite les semaines d’aménorrhée…

Avec la datation de la grossesse, on dispose désormais d’une valeur de référence spécifique à la grossesse en cours et a priori plus précise. On s’attendrait donc à compter l’âge gestationnel en semaines de grossesse à partir de là. Or dans les faits, on continue d’utiliser les semaines d’aménorrhée.

Dans les rendez-vous de suivi, au laboratoire, à la maternité, le personnel médical se réfère aux semaines d’aménorrhée.

… en les définissant en fonction des semaines de grossesse

Mais il ne s’agit plus des semaines d’aménorrhée constatées dans la réalité. On recalcule les semaines d’aménorrhée pour coller à la définition théorique SA = SG+2.

Prenons un exemple

Imaginons une date des dernières règles au 1er septembre 2020. La théorie voudrait que la conception ait eu lieu le 15 septembre. Mais pour peu que la femme enceinte ait des cycles plus longs ou plus courts, la date réelle de conception est décalée. Disons que l’échographie a déterminé que la date de conception était le vendredi 18 septembre (+/- 5 jours). Le vendredi 18 décembre, la grossesse a duré 13 SG ou 15 SG + 3 jours.

Ici, on ne constate pas 14 jours d’écart entre les deux expressions de l’âge gestationnel. Alors, arbitrairement, on déclare que l’âge gestationnel exprimé en SA est de 13 SG + 2 = 15 SA. Ce « 15 SA » ne correspond à aucune réalité. Dans notre exemple, la grossesse a duré 13 semaines et l’aménorrhée 15 semaines et 3 jours. Pourtant, c’est cette valeur de 15 SA qui devient la référence.

Bulle de dialogue entre parenthèses

Pour l’anecdote

L’absurde est tel que certains formulaires médicaux informatisés calculent la date des dernières règles en fonction de la date de conception. Lors de ma première grossesse, il y avait 9 jours d’écart entre mes dernières règles et la conception. Au cours du suivi, j’ai pu constater sur certains documents que la date de mes dernières règles, indiscutablement le 3 d’un mois, était notée au 28 du mois précédent !

Récapitulons !

En début de grossesse, l’âge gestationnel s’exprime en semaines d’aménorrhée en référence à une date indiscutable mais agnostique de la situation individuelle. Ensuite, l’échographie de datation sert notamment à déterminer la date de conception afin de préciser l’âge gestationnel. Une marge d’erreur s’applique à cette estimation comme à toute estimation. Toutefois, la date de conception estimée a le mérite d’être spécifique : elle dépend des particularités de cet embryon.

Pourquoi donc utiliser pour référence une valeur que l’on sait fausse (les SA recalculées) alors qu’on dispose de l’information à peu près juste par ailleurs (les SG estimées), et ce en s’épargnant une addition intermédiaire ?

Une situation absurde difficile à justifier

Un héritage récemment remis en cause ?

Ce type de situation peut résulter d’un système hérité dont la remise en cause récente n’est pas aboutie.

Nous l’avons compris, l’estimation de la date de conception lors de l’échographie repose sur deux éléments :

  • d’une part, sur la mesure fiable de la taille de l’embryon
  • et d’autre part, sur la comparaison de cette mesure avec des courbes de croissance type.

La mise à disposition des courbes de croissance type* date des années 1970**. L’usage généralisé de l’échographie en obstétrique date quant à lui des années 1970-80. Ces données et techniques sont ce qui permet d’estimer l’âge de la grossesse en SG. Sans cela, la meilleure approximation reste le décompte des SA.

* Source : CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) – Compte-rendu minimum d’échographie de datation non morphologique du premier trimestre pour une grossesse simple intra-utérine – Pages 4 à 6 : « Mesure de la longueur cranio-caudale quand l’embryon est visible »

** Source : ISUOG (International Society of Ultrasound in Obstetrics and Gynecology) – Guide pratique de l’ISUOG : réalisation de l’échographie fœtale du premier trimestre – Table 1, page 8

Si c’est la raison qui justifie la situation actuelle, il n’est pas trop tard pour aligner nos processus sur les avancées techniques et médicales faites il y a près d’un demi-siècle.

Une volonté de ne pas perturber le décompte en cours de grossesse ?

Peut-être y’a-t-il un consensus du corps médical sur le fait de ne pas passer d’un système de comptage à l’autre ? On peut imaginer que cela déstabiliserait les futurs parents de passer subitement de « 12 SA » à « 10 SG » avec une impression de « revenir en arrière » ? Il y a peut-être aussi de facto une inertie naturelle à la remise en question d’une norme adoptée.

L’argument ne convainc pas. D’abord, le corps médical est capable d’expliquer à ses patients la différence entre aménorrhée et grossesse. Ensuite, les futurs parents se confrontent aujourd’hui aux deux notions et doivent régulièrement faire la conversion. Preuve s’il en est du double comptage, de son absurdité et de sa confusion : la quantité de tableaux de conversion que l’on trouve sur internet en 2 clics.

De plus, les futurs parents comptent aussi (surtout ?) le temps en mois de grossesse. Par nature, cette notion est plus proche des semaines de grossesse que des semaines d’aménorrhée. Nul besoin de complexifier l’exercice de conversion semaines / mois avec une notion supplémentaire déconnectée de toute réalité.

Au-delà de l’échographie de datation, c’est de poursuivre le comptage en semaines d’aménorrhée qui génère de la confusion.

Des freins à la mise en œuvre ?

Changer le système implique un effort significatif…

Le temps ne semble pas avoir manqué. Il ne semble pas non plus possible qu’une volonté forte ait contrarié l’actualisation de nos processus médicaux du suivi de grossesse. Alors se peut-il que des freins opérationnels expliquent une situation devenue absurde ?

Il s’agit de modifier la référence que l’on prend. On peut donc imaginer qu’en effet, le nombre de professionnels à atteindre, de processus à revoir, de formulaires à corriger soit important. L’effort et le temps à passer seraient significatifs.

… nécessairement compensé à terme par le gain de temps pour chacun

A contrario, aujourd’hui, on maintient un double comptage. Cela a deux implications. D’abord, le besoin en formation est limité. En effet, les principaux utilisateurs des SG sont déjà familiers avec le concept.

Ensuite, dans une logique d’arbitrage, on doit évaluer le temps perdu à changer de système mais aussi à maintenir le système. Prenons rapidement quelques hypothèses :

  • 750 000 naissances par an en France, cf. Natalité – fécondité selon l’INSEE. Il faudrait ajouter un coefficient pour tenir compte des grossesses suivies et n’aboutissant pas.
  • 29 (=39-10) semaines de grossesse post-échographie de datation
  • 2 coparents par naissance. Il faudrait là un coefficient pour tenir compte des naissances dans les familles monoparentales.
  • 1 minute perdue à chaque conversion et à chaque incompréhension avec un professionnel du suivi de la grossesse
  • 2 conversions par coparent et 1 besoin de clarification avec un médecin par semaine (valeurs arbitraires, fonction de mon expérience)

On aboutit à 152,3 millions de minutes perdues par an, soit 320 000 jours ouvrés. Parmi cela, 45 300 jours ouvrés sont perdus par les professionnels médicaux devant intégrer la gymnastique SA / SG dans leur quotidien. Cela représente plus de 200 médecins en France qui passeraient la totalité de leur temps à traduire des SA en SG et vice versa. 200 médecins et 1250 futurs parents, et cela tous les ans depuis environ 30 ans.

Les professionnels médicaux qui suivent les grossesses en France ont mieux à faire. De même pour les futurs parents.

Une solution simple : compter l’âge gestationnel en semaines de grossesse dès la datation de la grossesse

Sans surprise, ce que je préconise est de :

  • Compter l’âge gestationnel en semaines d’aménorrhée jusqu’à la datation de la grossesse, comme on le fait aujourd’hui. A ce stade de la grossesse, c’est la méthode la plus précise et la plus fiable au regard des informations disponibles.
  • A partir de la datation de la grossesse, compter l’âge gestationnel en semaines de grossesse. Cette méthode serait plus exacte, plus appropriée pour le suivi de grossesse et plus facile à suivre pour les futurs parents. Ce serait plus efficace.

Pour les médecins et les futurs parents, l’important serait que toutes les organisations publiques et privées concernées mettent à jour leurs processus et formulaires en même temps. Une injonction au niveau national serait en mesure de donner l’impulsion nécessaire. L’annonce pourrait intervenir 1 ou 2 ans à l’avance pour donner le temps à chacun d’organiser les changements. La mise en œuvre pourrait ensuite distinguer les nouvelles grossesses des grossesses en cours pour ne pas perturber leur suivi au moment du changement.

Pour plus de contenus sur la grossesse et la parentalité, rendez-vous sur mon site dédié : devenirparent.fr !

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