Oser faire un feedback utile
Faire un feedback réellement utile à ses équipes n’est pas chose aisée. C’est pourtant l’un des rôles du manager : faire progresser son équipe. Et pour qu’elle progresse, elle doit savoir où elle en est, ce qu’elle fait bien et ce qu’elle fait mal.
L’exercice est pourtant inconfortable. Pour le collaborateur s’invite facilement la crainte d’être (mal) jugé. Le risque est que ce jugement ait un impact sur son évolution professionnelle à court ou plus long terme. Pour le manager, eh bien, on ne nous apprend pas vraiment à passer des messages difficiles. Parfois, il n’y a rien à redire. Le collaborateur est excellent, il faut éventuellement lui signaler des axes d’amélioration sur des points de détail. Le discours est facile à tenir… et sûrement peu intéressant. Plus souvent, il y a des choses à dire, du bon et du moins bon. Ce n’est pas facile. Parfois, c’est franchement délicat.
Comment faire un feedback ?
La technique du « sandwich » est la malbouffe du management
La technique du feedback en sandwich est un classique éclusé de formation au management. Une simple recherche dans Google Images vous en dira long sur ce qui se dit et se pense de cette technique que l’on compare aux burgers de fastfood. Le principal risque associé à son utilisation est de passer auprès de ses équipes pour un hypocrite incompétent, bref, un responsable à éviter autant que possible. Et que feriez-vous, vous, d’un retour fait par un hypocrite incompétent ?
Une technique aussi simple n’est pas à même d’aider un manager qui souhaite véritablement faire progresser ses équipes. C’est normal : le management est une affaire d’humains. Il s’agit d’interpersonnel, d’affect, de motivation, de plaisir de travailler ensemble. Ce ne peut être que complexe. Pourtant, préserver l’engagement de ses équipes, c’est préserver le moteur de tout projet. C’est clé.
Alors comment faire un bon feedback ?
Qu’est-ce qu’un bon feedback ?
Commençons par l’objectif : quel est l’objectif recherché lorsqu’il y a feedback ?
Une information exploitable par son destinataire
« Feedback » désigne le fait de faire un retour, d’alimenter un interlocuteur avec de l’information utile pour lui. L’un des objectifs est donc de s’assurer que le destinataire du feedback reçoit une information qu’il peut exploiter. Quelles sont les caractéristiques d’une information exploitable par son destinataire ? A priori, il faut qu’elle :
- soit reçue. L’information doit avoir été donnée mais aussi entendue. Le contexte doit donc se prêter à la bonne communication de l’information.
- soit validée. Si l’interlocuteur ne croit pas à l’information, il n’en fera rien. Elle doit donc être de source fiable. Le manager doit être vu comme une source fiable par son collaborateur. Contrairement à ce qu’on aimerait croire, ce n’est pas un acquis.
- soit traduisible par des actions concrètes. Si l’information est trop vague ou trop théorique, le collaborateur ne pourra pas passer à l’action et décliner ce que le feedback comportait.
Une information susceptible de le faire progresser dans la direction convenue
Côté manager maintenant, l’objectif est de faire progresser le collaborateur.
Mais progresser… dans quelle direction ? Le manager et le collaborateur doivent avoir établi cette direction au préalable. Si ce n’est pas le cas, le feedback du manager ne reflètera que sa vision de l’évolution à viser par le collaborateur. Or le collaborateur peut en avoir une vision différente ou opposée. Au mieux, le destinataire recevra, mais ne validera pas le feedback qui restera lettre morte.
Pour que le feedback fasse progresser son collaborateur dans la direction convenue, le manager doit :
- S’assurer que l’information soit exploitable par son destinataire
- S’être assuré que la direction convenue avec le collaborateur servait aussi ses intérêts de manager
- Donner un feedback ne servant que l’avancée dans la direction convenue
Est-ce que c’est tout ?
Un échange qui contribue à construire la relation hiérarchique
Par nature, le fait de faire un feedback à quelqu’un ne se présente que lorsque la relation est amenée à durer dans le temps. Il s’agit donc de développer la relation entre manager et collaborateur.
Comme dans toute relation, il s’agit de confiance et de respect mutuel. Ce n’est pas parce qu’il y a un lien hiérarchique dans un contexte donné qu’il ne peut pas y avoir une relation équilibrée d’adulte à adulte.
Le feedback donne donc une opportunité de développer cette relation hiérarchique dans un sens satisfaisant pour les deux parties prenantes. Il s’agit de saisir cette opportunité.
Comment faire ce bon feedback ?
Oublier ses objectifs généraux de gestion des équipes
Dans la gestion de ses équipes, le manager dispose de plusieurs leviers pour atteindre ses objectifs. Il peut :
- Conserver son collaborateur en place (dans le rôle convenu), avec une amélioration continue ou non. C’est là que le feedback intervient.
- Réaffecter son collaborateur. Un collaborateur qui n’est pas à sa place à son poste peut être repositionné dans un rôle qui lui conviendra mieux.
- Promouvoir son collaborateur. Un collaborateur dont la présence à l’échelon supérieur bénéficierait à l’équipe doit être promu.
- Ecarter son collaborateur. Un collaborateur dont on n’arrive pas à exploiter utilement les compétences dans l’équipe doit être écarté de l’équipe (et réaffecté dans l’organisation ou licencié selon la situation particulière).
Le manager ne doit pas confondre le fait de faire un feedback avec l’annonce des options réaffecter / promouvoir / écarter.
L’activation de n’importe lequel des 4 leviers ci-dessus repose sur une décision managériale. Indépendamment des échanges que ces décisions génèrent, in fine, le manager décide unilatéralement de comment il gère ses équipes. Lorsqu’il annonce à son collaborateur l’une des décisions réaffecter / promouvoir / écarter, c’est une annonce. Il n’a pas besoin de la validation du collaborateur. En revanche, le feedback n’est efficace que s’il est validé et repris par le collaborateur. Il ne s’agit donc pas d’une annonce mais d’une discussion.
Si la question de faire un feedback se pose, c’est que la situation est celle d’une équipe où le collaborateur est à son poste et doit progresser dans celui-ci.
Se focaliser sur la progression dans la direction convenue
Les entretiens annuels et les points de passage de début / fin de mission ou projet sont les temps managériaux où manager et collaborateur définissent ensemble la feuille de route du collaborateur sur la prochaine période. Tout feedback utltérieur se réfère à la feuille de route déterminée. Cela n’aurait pas de sens de faire un retour sur ce qui n’était / n’est pas recherché. Je pars donc de ce point de départ : manager et collaborateur ont défini ensemble ce que le collaborateur devait chercher à développer.
Ainsi, si le feedback porte sur quelque chose qui n’était pas convenu, cela met le collaborateur dans une situation inconfortable. Les objectifs d’exploitabilité de l’information et de construction de la relation sont mis à mal.
Faire du feedback une information exploitable
Un feedback exploitable est un feedback reçu, validé et actionnable. C’est le manager qui formule le feedback, c’est donc à lui que revient de s’assurer que son feedback soit exploitable. Je vais détailler ce qui est nécessaire pour chacune de ces trois caractéristiques par ordre de difficulté croissante.
Le feedback doit être actionnable
Pour cela, il doit être concret et spécifique. Faire référence à des faits passés, prendre des exemples, décrire ce qui serait attendu aident à concrétiser la remarque faite au collaborateur.
Le feedback intervient à proximité des faits discutés. L’idéal est donc de prévoir des feedbacks réguliers fréquents ou de ne pas hésiter à les planifier dès qu’un évènement particulier mérite un retour, positif ou négatif.
Le feedback doit être reçu
C’est un basique de la communication : toute communication doit être émise… et reçue. Il s’agit donc de lever tous les freins à la transmission de l’information.
Notamment, le contexte doit être propice. Il s’agit d’organiser un temps en-dehors du rythme du projet pour que les deux humains puissent y être complètement dédiés. Je ne parle pas d’horaires de réunion exceptionnels. Il s’agit plutôt de s’assurer de trouver ensemble un créneau confortable dans l’agenda pour les deux parties.
Par ailleurs, le moment du feedback doit être conçu comme un temps d’échange. Le manager a un message à passer. Le collaborateur doit pouvoir poser des questions, exprimer un désaccord, fournir des éléments d’information que le manager n’aurait pas, surtout s’ils sont susceptibles de faire évoluer le feedback donné. Le manager ne sait pas tout, il doit s’assurer d’écouter.
Il se peut parfois que le manager ait un feedback à faire… et soit en fait perplexe sur la manière dont les choses se sont déroulées. Dans ce type de situation, il est tout à fait indiqué de commencer le temps en exprimant au collaborateur cette incompréhension et en lui demandant de s’exprimer en premier sur le sujet. Les retours du collaborateur seront souvent riches en éléments de compréhension de ce qui s’est passé. Cela permettra ensuite d’orienter la discussion et d’arriver à un feedback plus pertinent.
Le feedback doit être validé
Aboutir à un accord
C’est à mon sens le plus difficile car cela implique un véritable accord entre le manager et son collaborateur. Le constat fait doit être partagé et le collaborateur doit s’être approprié les pistes d’amélioration identifiées. Idem pour le manager. Il aborde l’échange avec un message pré-identifié mais ce message peut évoluer en fonction des retours que lui fait son collaborateur. Il ne faut pas hésiter à faire évoluer le feedback au regard de nouvelles informations.
Au-delà de l’importance de la discussion pendant le temps d’échange, le manager doit être vu, je le disais plus haut, comme une source fiable par son collaborateur. A mon sens, trois éléments sont essentiels. Le manager doit être vu comme quelqu’un :
- d’honnête
- de crédible : compétent et pertinent
- d’animé de bonnes intentions à l’égard du collaborateur
Etre vu comme honnête, crédible et animé de bonnes intentions
Ces trois éléments ne se construisent pas à l’occasion du feedback par quelques mots d’introduction. Ils se construisent au quotidien en choisissant les mots justes, en écoutant les équipes, en tenant compte des suggestions et propositions de l’équipes, en valorisant les prises d’initiative, en prenant la responsabilité des décisions difficiles, etc. Ils se construisent aussi lors des temps managériaux de définition des feuilles de route et des objectifs du collaborateur. Le jour du feedback, on a pour capital ce qu’on a construit auparavant.
Rappeler la disposition d’esprit du manager et l’objectif de l’échange en introduction est une bonne pratique. Cela permet de sécuriser le collaborateur dans l’échange et de lancer la discussion sur une base claire. Cela permet enfin de démontrer par l’exemple que ce créneau est un temps d’échange libre.
Parfois, quand la relation hiérarchique est récente ou qu’une mécommunication a semé des doutes, le capital confiance est faible. Il est alors utile d’aborder le sujet franchement. Le manager doit aborder par lui-même le sujet difficile et livrer sa position sur le sujet. Il est aussi dans ce cas d’autant plus important de donner la parole au collaborateur, idéalement avant tout feedback.
Faire valider le feedback en fin d’échange
A la fin de la discussion qui aura permis d’évoquer tous les tenants et les aboutissants du feedback, il faut s’assurer que manager et collaborateur sont alignés. Si l’échange n’y vient pas naturellement, le manager doit marquer le moment de la synthèse et s’assurer de l’accord ou non du collaborateur.
Le manager pourra plus tard mettre par écrit cette synthèse formulée à l’oral si le contexte le demande.
S’assurer de construire la relation
Aboutir à un accord contribue en soi à construire la relation.
S’il souhaite faire plus, le manager peut s’assurer d’exprimer le respect qu’il a pour son collaborateur. Il peut le faire explicitement, par exemple en lui disant en quoi il le perçoit comme un bon élément dans l’équipe. Il peut aussi le faire implicitement, en respectant son temps de parole, en entrant dans un véritable dialogue, etc.
Un exemple de bon feedback, pourtant délicat
Rien de tel qu’un exemple pour illustrer ce qu’est un bon feedback.
Vidéo : une franche discussion entre Mourinho et Dele Alli
Dans la vidéo ci-dessous, Mourinho, entraîneur du club de Tottenham, rencontre Dele Alli, un jeune milieu offensif à haut potentiel dont le niveau stagne depuis plusieurs mois. Mourinho le dit lui-même : il ne sait pas exactement ce qui se passe dans la tête de Dele Alli. En revanche, son joueur à haut potentiel n’atteint pas le niveau escompté. Il ne peut pas ne rien faire.
Le discours n’est pas celui qu’on a l’habitude d’entendre en entreprise. Et pourtant, le feedback est respectueux et efficace : 2 minutes 52 secondes… on aimerait avoir des réunions aussi efficaces plus souvent !
Commentaire : s’agit-il d’un bon feedback ? En quoi ?
Le discours de Mourinho ne coche a priori pas toutes les cases du bon feedback tel qu’on l’imagine. Pourtant, manifestement le discours fonctionne. Alors Mourinho fait-il ce que nous disions plus haut ?
Oublier ses objectifs généraux de gestion des équipes
Oui. Mourinho a fait choisi le levier managérial qu’il souhaitait activer. A ce stade, il considère le joueur à sa place et souhaite qu’il progresse. Il ne fait pas planer de menace de mise sur le banc ou de sortie de l’équipe.
Se focaliser sur la progression dans la direction convenue
Oui. La discussion ne laisse pas de place au doute. Coach et joueur savent que Dele Alli a un potentiel de très bon joueur à son poste, c’est dans cette direction qu’il doit aller professionnellement. C’est en ce sens que Mourinho donne le feedback.
Faire du feedback une information exploitable – actionnable
Oui. Mourinho parle de « a player that keeps consistency and a player that has moments » et précisera « I’m not expecting you to be Man of the match every game. I’m not expecting you to score goals every game.« . C’est de régularité dont il s’agit. Le feedback est effectivement actionnable.
Faire du feedback une information exploitable – reçue
Oui.
Le contexte y est propice (à un détail près). Le coach et le joueur se retrouvent dans le bureau de Mourinho. Ils se sont assis et se concentrent sur l’échange. Le détail concerne la caméra. La scène est filmée, ce qui peut être intimidant pour le joueur ou limitant pour l’entraîneur (même si l’on ne pense spontanément pas que Mourinho s’est ici censuré dans son discours).
Ce n’est pas un temps d’échange, mais le contexte est particulier. Mourinho demande un résultat qui nécessite certainement une revue de l’engagement du joueur, un choix de vie. C’est quelque chose qui se mûrit et qui se décide lors de temps de réflexion personnels. L’entretien n’est pas un bon moment pour réagir à chaud. La présence de la caméra perturbe également la possibilité d’échanger. L’échange serait peu pertinent et inconfortable. Il est donc ici souhaitable que le joueur ne fasse pas de réponse plus construite que les hochements de têtes et assentiments murmurés.
Mourinho en tient compte et l’exprime explicitement « Maybe inside you, you tell me to fuck off » puis « it’s not something you have to share with me« . Dele Alli n’a pas de temps de parole effectif. Pour autant, il sait qu’il a le droit de parler et qu’il serait écouté.
Faire du feedback une information exploitable – validée
Oui.
Etre vu comme honnête, crédible et animé de bonnes intentions
Mourinho a un discours simple, franc, sans détour, ponctué d’expressions familières. Il représente l’honnêteté et l’authenticité.
Par ailleurs, il est reconnu comme l’un des meilleurs entraîneurs du moment. Dele Alli ne semble pas avoir de défiance vis-à-vis de lui. Il est seulement dans l’inconfort tant qu’il est dans l’attente de connaître le message qui va lui être délivré.
Enfin, en introduction, Mourinho revient explicitement sur la relation qu’il souhaite entretenir avec son joueur : « You feel: I like you as a player, I like you also as a kid. » et « I just want to be your coach but with a good connection.« . Plus tard, il dit « I am 56 now and yesterday, yesterday, I was 20.« . Ses bonnes intentions à l’égard de Dele Alli sont manifestes.
Valider le feedback en fin d’échange
Malgré un échange très limité dans cette séquence, c’est la réaction de Dele Alli qui déclenche la fin de la discussion. Il dit « I understand.« . Mourinho acte d’un hochement de tête que le message a été compris, dit « Thank you, mate. » et Dele Alli répond un « Thank you. » sincère.
Le coach a demandé à son joueur de réfléchir à ce qui lui permettrait d’atteindre une régularité dans ses performances. En fin d’échange, le joueur semble aligné avec cette demande.
S’assurer de construire la relation
Oui. Tout d’abord, l’échange aboutit à un accord sur la marche à suivre. Dele Alli doit réfléchir à la régularité de sa performance. Ensuite, à la fin de l’échange, le respect mutuel entre Mourinho et Dele Alli semble évident.
Vouloir rendre service à son collaborateur et oser dire ce qui peut lui être utile
Dans le discours de Mourinho, on ne retrouve pas les codes sociaux d’une organisation de bureau (et pour cause !). Pourtant, toutes les clés pour un bon feedback y sont. Ces clés fonctionnent.
Au-delà de ça, c’est un état d’esprit général qui permet au manager de faire un bon feedback à ses équipes. Il s’agit de vouloir rendre service à son collaborateur : l’aider, lui, à progresser. Et il s’agit d’oser dire ce qui doit être dit. Si le feedback est pensé avec respect pour la personne qui est en face de nous, ce respect se manifestera dans l’échange et tout peut être dit.
Alors gardons en mémoire les quelques clés pratiques pour faire un bon feedback. Et surtout, au moment de faire un feedback à un collaborateur, pensons à lui et à ce qui peut lui être utile et disons-le lui, tout simplement.
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